mercredi 7 septembre 2011

Si Paris hanté m'était conté...

Gaëtan Delbarre, devant les ruines du Château Royal du Vivier (Fontenay-Trésigny)
Ce soir-là, sur le parvis de Notre-Dame, un petit groupe se forme, au pied de la statue de Charlemagne. Des badauds anonymes ont rendez-vous à la nuit tombée avec leur guide, pour une visite du Paris hanté. Mais ici, point de société secrète ni de réunion ésotérique dont la ville a dû - et doit encore ! - être le théâtre mais l'un des circuits d'une agence de tourisme culturel dédié aux arcanes de l'histoire mystérieuse et criminelle du vieux Paris.
Peu avant 21h, Gaëtan Delbarre fait son apparition, discrète. Un micro-casque à l'oreille, un mini haut-parleur ceinturé sur le ventre. C'est pour mieux l'entendre, mon enfant. Passionné de vieilles pierres, ce jeune historien de 26 ans est tombé dans la marmite de l'Histoire dès l'adolescence. A 14 ans, il s'improvise guide à l'Abbaye Royal du Moncel, dans l'Oise. Puis, à 16 ans, Vaux-le-Vicomte devient son terrain de chasse. C'est décidé : il sera conservateur des Monuments Historiques. Pendant ses études supérieures, un archéologue lui prédit un destin de tailleur de pierres. Il entre alors dans une école de restauration. Encadrements de portes et linteaux de cheminées n'ont plus de secrets pour lui. Mais son engouement est ailleurs. Il revient à la visite guidée et se spécialise dans l'histoire du siècle de Louis XIV. Son catalogue de récits et d'anecdotes accumule les châteaux et les vieilles demeures.
De fil en aiguille, son parcours le conduit à Paris, ville aux mille visages. Hormis des programmes à la carte pour une clientèle fortunée, il propose une grande variété de thèmes de visite, en plusieurs langues dont l'hébreu !
Ce soir-là, les visiteurs veulent frissonner. Sans y être forcés par le "vent fou" qui s'est levé. En bon enquêteur du mystère, Gaëtan Delbarre a épluché les archives de la Police, au Musée de la Préfecture du 5e arrondissement. Pour trouver matière - et un semblant de preuve ! - à ses histoires de fantômes derrière lesquelles se cachent toujours des crimes effroyables. Puis, en bon historien, il cherche des indices sur le terrain. Car c'est toujours sur place que le mythe prend son épaisseur.
Première étape : les portes de Notre-Dame dont les ferronneries auraient été forgées avec l'aide du diable. L’épopée biscornue d’un certain Biscornet que les amateurs d'étrange connaissent bien. Mais le talent et l'humour du conteur font toute la différence. L'espace d'un instant, devant la majesté de la cathédrale, on oublie l'agitation urbaine et les vendeurs de gadgets dont les babioles phosphorescentes fusent dans le ciel. On imagine plutôt l'incompréhension des experts de l'époque, incapables d'expliquer la nature du fer utilisé, ni la méthode de façonnage. L'œuvre d'un démon ou celle d'un orfèvre maudit qui aurait vendu son âme ? Toujours est-il que les portes furent impossibles à ouvrir lors de l'inauguration, faute d’exorcisme.
Le décor est planté. Les lampadaires projettent de curieuses ombres au sol. Étapes suivantes : les vieilles rues étroites de l'île de la Cité puis du quartier Maubert, toujours hantées par de macabres rumeurs. Rue Chanoinesse, Gaëtan raconte comment un barbier et un pâtissier auraient fondé un commerce juteux au XIVe siècle alors que des étudiants disparaissaient mystérieusement. Le premier leur tranchait la gorge, le second les cuisinait en pâtés savoureux. Le tout-Paris s'y régalait. Jusqu'aux aboiements répétés d'un chien devant l'échoppe, sans doute à la recherche de son défunt maître. Intrigué par l'animal puis par l'odeur nauséabonde, un robuste prévôt décide de visiter la cave. Le sinistre trafic est éventé, si j'ose dire. Partout, dans l'obscurité, on découvre des bras, des jambes, des têtes. "Rien n'est rangé, quoi !" s'amuse Gaëtan. L'ironie est le meilleur remède contre l'horreur. Aujourd’hui, c’est un garage pour les motos de la police. Dans le sous-sol, il y aurait encore la dalle, vestige de l’ancien mur d’enceinte de Lutèce, sur laquelle le pâtissier découpait ses victimes.
De la rue de Bièvre à la cour carrée du Louvre, les intrépides visiteurs suivent toujours le guide, en rangs serrés. Aurions-nous perdu quelqu'un en route, façon Dix petits nègres ? En outre, la Seine n'est jamais bien loin. Pour nous rappeler que l'Histoire de Paris n'est pas un long fleuve tranquille. Place Louis Lépine, le guide ose une "digression" géographique. Répertoriée dans les archives policières, il nous conte la fameuse histoire de l'homme à la redingote, un classique du jardin du Luxembourg, même si le "lieu du crime" est loin. Pour ceux qui ignoreraient encore cette histoire aux allures de ghost story anglaise, qu'ils cherchent dans nos articles ou sur internet la piste d'un certain Alphonse Berruyer. Elle fait toujours son petit effet, narrée les nuits d'orage, dans une vieille maison au parquet qui craque.
Sur le sol de la place Dauphine, Gaëtan dessine d'étranges formes. Se prend-il pour le Christ qui s'apprête à déclarer, devant la foule prête à en découdre avec une prostituée, "que celui qui n'a jamais pêché lui jette la première pierre" ? Pas du tout. Il trace une carte : celle de l'île de la Cité, pour nous parler de Jacques de Molay, chef des Templiers, brûlé à deux pas d'ici. Sa célèbre prophétie des "treize générations maudites" résonne encore comme un écho du passé, entre le Palais de Justice et la statue d'Henri IV.
Au terme du circuit, devant la pyramide du Louvre, le jeune guide, toujours les sourcils froncés comme s'il cherchait à vérifier dans sa mémoire l'exactitude de ses informations, finit par la légende de l'Homme rouge des Tuileries. Un écorcheur prénommé Jean dont le destin surnaturel fut étroitement lié à celui des monarques de France. Jusqu'à Napoléon dont Gaëtan aurait retrouvé une correspondance à ce sujet. En effet, comme la comète dans le ciel à une certaine époque d'obscurantisme, le fantôme de l'écorcheur apparaissait pour augurer une catastrophe, une défaite sanglante ou la mort. Les puissants et les astrologues, un curieux ménage qui perdure encore !
Sous les applaudissements, le petit groupe se disperse, l'imagination enflammée. Bien sûr, les opinions divergent. Les lieux visités n'ont été parfois que simples alibis aux histoires. Et les incollables arrogants du Paris hanté auront l'impression d'être restés dans les sentiers battus. Mais le guide est sincère, la motivation intacte et les angles de vue novateurs. Loin de ces opportunistes du paranormal qui s'en tiennent à l'écume du fantastique au profit de leur tiroir-caisse ! Aussi, un dernier conseil : entre deux étapes, prenez le temps de faire silence, pour mieux s'imprégner de la mémoire des pierres. Celles que Gaëtan, en bon tailleur, affectionne tant.

Olivier Valentin


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