Tony Gheeraert, en repérage à Cambridge pour son roman |
Publier un roman fantastique relève du parcours du combattant. Car les maisons d'édition sont comme les sociétés secrètes. Elles vivent de leurs codes, souvent hermétiques pour les écrivains anonymes. C'est l'expérience qu'en a faite Tony Gheeraert, professeur de lettres à la faculté de Rouen.
Au café l’Écritoire, près de la Sorbonne, qui lui a inspiré un lieu dans son roman "Le code de Cambridge", il me raconte ses déboires : "J'ai essuyé de nombreux refus de la part d'éditeurs car ils reprochaient à mon histoire d'être un roman français, écrit par un auteur français, mais se déroulant en Angleterre. Or, pour les sujets qui flirtent avec le surnaturel, la préférence commerciale va aux écrivains étrangers qui sont traduits en français." C'est ainsi qu'il voit apparaître en librairie, chez JC Lattès, le livre de Rebecca Stott au titre déroutant : "Le manuscrit de Cambridge". Pas un plagiat mais une prise de risque limitée pour un éditeur.Au Seuil, un panel de lecteurs fait un rapport sur son manuscrit. L'avis est négatif. Il le propose alors chez Belfon. Cependant, malgré un avis favorable, c'est la directrice de collection qui s'y oppose : elle n'apprécie guère l'arrière-plan fantastique. Aux éditions Le Pommier, le texte est laissé de côté. Jusqu'à ce qu'il refasse surface, un an plus tard, et attire l'attention de sa directrice, Juliette Thomas. Pour justifier une publication au sein d'une maison d'édition dédiée traditionnellement à la vulgarisation scientifique, le roman doit avoir une portée technique. Elle trouve alors un postfaceur. Le projet est lancé. Mais le premier titre, "Ghost Tour", est refusé. Et le résumé de quatrième de couverture imposé.
Quelle est donc cette énigmatique histoire dont le vernis paranormal dérange autant ? Spécialiste du XVIIe siècle, du jansénisme et de Port-Royal, Tony Gheeraert s'est inspiré de la thèse de son épouse pour écrire son récit. Arnaud Rudel, un étudiant complexé et plutôt médiocre, en thèse d'histoire à la Sorbonne, reçoit contre toute attente une bourse d'étude à la prestigieuse université de All Souls College à Cambridge. Il doit préparer une conférence sur Lady Charity Backwater, une puritaine du XVIIe siècle qui fut accusée du meurtre de son mari, un fidèle du roi Charles Ier, pendant la Révolution anglaise. Il est aidé dans sa mission par Véronique Leblanc, une belle et jeune enseignante, experte en histoire de la sorcellerie. Une fois sur place, le tandem doit faire face à une série de meurtres. Or, tous les indices semblent liés à l'histoire de Lady Charity et mettent en cause Arnaud Rudel. Dans sa quête de vérité, le jeune étudiant va croiser un playboy, un vieux bibliothécaire, des chasseurs de fantômes, une châtelaine et une physicienne alchimiste.
Pour sa promotion, le roman est qualifié de thriller historique, dans la tradition d'Umberto Eco, Iain Pears et Arturo Perez-Reverte. Or, fan de l'émission "Mystère", Tony Gheeraert avait envie d'écrire une histoire de fantômes "pour légitimer une recherche personnelle sur des questions existentielles". Il lui fallait donc une toile de fond surnaturelle pour "nourrir l'imaginaire" et "donner envie d'y croire". D'où cette difficulté à l'écriture d'assembler le vrai et le faux, et de mettre dans cette histoire tous ses sujets de prédilection, "l'écueil des premiers romans, le tombeau de ma jeunesse" comme il le reconnait lui-même.
Le résultat est pourtant audacieux. La plume soignée, les références multiples et la densité des histoires qui s'entrechoquent créent un premier livre aussi intelligent que haletant. Nous sommes loin du page-turner facile, façon Dan Brown, où le rythme effréné l’emporte sur la réflexion. A la croisée des mondes entre polar, fresque historique et récit fantastique, le roman de Tony Gheeraert pose des questions.
Conforté dans son travail, le professeur de lettres veut écrire une suite pour faire vivre d'autres aventures à ses personnages. Plutôt en France, sur fond de légendes normandes. Mais de nouvelles responsabilités universitaires ont mis son projet en sommeil. Espérons que les fantômes de Tony Gheeraert ne tarderont pas à se manifester de nouveau.
Le code de Cambridge
Tony Gheeraert
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