Un livre de Claude Arz est toujours la promesse d’un enchantement. Spécialiste des légendes et croyances de notre "patrimoine immatériel", ce breton de souche est tombé dans une "marmite de sorcier". Son père était magnétiseur. De lui, il garde certainement l’art de guérir les faiblesses de l’homme en puisant dans les forces de la nature. C’est tout le talent du conteur qui, à la manière d’un Le Braz ou d’un Sébillot, réveille les créatures mystérieuses et les histoires magiques, tapies au fond de notre imaginaire, pour donner du sens à notre quête d’absolu.
Avec Claude Arz, le monde des morts, étudié au microscope de notre troisième œil, révèle toujours quelque chose des vivants. Les mystères de l’invisible poussent l’homme à se poser des questions, sur lui-même, ses origines, sa culture, ses traditions, sa trajectoire. Or, la mer, vaste territoire pour les marins-rêveurs, n’échappe pas à ses filets. C’est pourquoi il était indispensable pour moi de rencontrer l’auteur à la Maison de la Bretagne, près de la Gare Montparnasse, pour une conférence-dédicace autour de son dernier ouvrage, alors que la Porte de Versailles s’est transformée en un gigantesque port à sec, le salon nautique.
Publié aux éditions Le Télégramme, Croyances et légendes de la mer est un livre merveilleux, dans tous les sens du terme. Une plume trempée dans l’eau salée. Richement illustré, il nous renvoie à notre esprit d’enfance, peuplé de sirènes et de vaisseaux fantômes, et à notre capacité d’émerveillement. Que sont devenus nos rêves de gosse ? Pourquoi nos ancêtres croyaient-ils dur comme fer à ces mythes maritimes que nous avons aujourd’hui relégués au menu fretin ?
A l’époque, c'est-à-dire jusqu’au cœur du siècle dernier, la solitude des marins trouvait son réconfort auprès des sirènes. Bien longtemps après Homère, elles usaient encore de leurs charmes pour égayer leurs longs et pénibles voyages. Les récits et témoignages de pêcheurs peuplent d’ailleurs les arcanes de notre mémoire collective. Mais depuis, ces femmes fatales ont fini en phénomènes de foire, empaillées au musée de notre indifférence. L’homme n’étant pas capable de résister à la tentation de l’érotisme, la science a congédié le fantasme. On aurait confondu la muse avec un lamentin. Exit la pécheresse aux seins nus et à queue de poisson. Heureux qui comme Ulysse écoute désormais les sermons du curé pour qui les créatures de l’étrange sont frappées d’anathème ou livrées en pâture à des discours moralisateurs. Démystifié, le fantastique n’a plus lieu d’être, sauf au bénéfice de la crainte du Tout-Puissant.
Dans la voix forte de notre hôte, il me semble déceler une pointe de nostalgie, alors que la brise de la raison souffle la bougie de notre insouciance.
Malgré cela, Claude Arz ne démâte pas. Même s’il nous fait chavirer dans les légendes des bateaux maudits, silhouettes éphémères errant sur les mers comme des âmes condamnées au purgatoire. Si l’histoire de la Mary Céleste est une escroquerie à l’assurance, celle du Hollandais Volant, immortalisée par Wagner à l’opéra, laisse songeur. Façonnées comme l’argile par la tradition orale, plusieurs versions de ce vaisseau fantôme circulent et perdurent. Interrogés par Claude Arz lors de son enquête, des skippeurs lui ont révélé, à mots embrumés, avoir croisé la route de navires dérivant à l’horizon, sans maître ni cap. La preuve que ces énigmes du surnaturel sont des substrats de vérité sur lesquels s’enracine notre expérience du monde.
Loin des bruits parasites de nos villes, Claude Arz aime se promener seul, la nuit, au bord de la mer. Tendre l’oreille et percer, à travers le ressac, les murmures des lutins, ces petites créatures fantasmogoriques, cousins des korrigans, que le mauvais goût a plantés dans nos jardins. Pourtant, si l’on écoute bien, ils racontent comment des bateaux en perdition, attirés par des leurres de lumière, s’échouaient sur nos côtes pour abandonner leurs cargaisons aux naufrageurs, ces contrebandiers qui noircissent les pages de L’Auberge de la Jamaïque chez Daphné du Maurier. Du temps où ces pilleurs d’épave étaient pris pour des héros anarchistes transgressant les règles, il n’était pas rare de croiser un paysan en redingote, vestige d’un naufragé à qui même le manteau n’aura pas servi de linceul.
Au son de la cruauté, la petite assemblée frémit. Entre deux lampées d’eau minérale, les mots de Claude Arz se mêlent encore à l’écho des fantômes du passé. Dernière étape du voyage : les civilisations disparues. Légende historique ou fable politique, l’Atlantide a toujours ses émules, tant auprès des adeptes du grec ancien que des chercheurs de trésors. De Platon à Cousteau, l’énigme de la cité engloutie s’est prêtée à de multiples interprétations sans jamais livrer son secret. Et c’est sans doute mieux ainsi. Il n’y a pas pire trahison qu’un mystère élucidé.
Olivier Valentin
Olivier Valentin
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