Dans le petit monde merveilleux
du fantastique, les rencontres ne doivent rien au hasard. Ce sont les passions
qui nous rassemblent. Jules Renard disait « Je me moque de savoir beaucoup de choses. Je veux savoir des choses que
j’aime ». Ainsi, à mi-chemin entre les sceptiques et les illuminés,
des amateurs de mystères, animés par un goût raisonné de l’étrange, savent
trouver leur place et s’entendent, comme les pièces d’un puzzle. Or, avec les
fantômes, on a coutume de dire que les grands esprits se rencontrent. C’est
donc sans coïncidence que je suis tombé nez-à-nez sur Elian Black’Mor et Carine-M,
illustrateurs du 1er tome d’une Épouvantable Encyclopédie des Fantômes chez Glénat, un samedi de décembre. Dans
une galerie de l’Ile-Saint-Louis, ils étaient en dédicace, au milieu de leurs
dessins : des spectres, des fées et autres créatures ensorcelantes qui
hantent manoirs et cimetières.
Riche de la plume du conteur Pierre
Dubois, le beau livre que je tiens entre les mains est l’anthologie de ghost stories que l’on n’attendait plus
depuis L’heure des fantômes de Jean-Pierre Croquet. Entre Montague Rhodes James et Tim
Burton. Dans une petite salle bondée, les illustrateurs ne signent pas leurs
albums. Ils dessinent, prenant le temps de l’échange avec leur public. Les
présentations sont faites. Nous nous donnons rendez-vous sur leurs terres bretonnes,
au lendemain de Noël. L’ouvrage mérite des approfondissements. Le récit d’une
genèse. Car on n’invoque pas sans raison les fantômes d’un coup de crayon.
Quelques jours plus tard, au
milieu des dragons de la médiathèque de Carnac et des monstres à l’heure du
thé, nous chuchotons nos secrets. Exercice fastidieux que celui de la
promotion. La seule question que je me suis interdit de leur poser : "est-ce
que vous croyez aux fantômes ?". Car tout ce qui m’intéresse, c’est
de savoir s’ils en ont peur. Elian Black’Mor, l’homme des Maudits, une série de chroniques
macabres au pays des chimères, se penche vers moi, l’œil malicieux : « Les créatures fantastiques sont
toujours les personnages qui font peur et que l’on doit chasser. Au contraire, je
pense qu’elles ont besoin d’être défendues. Car les méchants ne sont pas
toujours ceux qu’on croit. ». Le parfait contrepied qui bouscule les
règles. Princesses et chevaliers, vous voilà avertis ! C’est le dragon qui gagne.
Cependant, l’exorcisme de nos terreurs ne doit pas passer par la ridiculisation
du bestiaire fantastique. Carine-M nous rappelle qu’il est bon que les fantômes
fassent peur : « C’est ainsi qu’ils
inspirent le respect. Après la frayeur légitime de la confrontation, le
fantôme se manifeste pour donner un signe et accompagner les vivants vers l’au-delà. ».
Dans leur Épouvantable Encyclopédie, ces
deux enfants de la pub, passés du marketing opérationnel au design éditorial,
explorent ce territoire inconnu où cohabitent vivants et disparus. Et, d’après
eux, la manière la plus poétique de faire accepter la mort est de puiser dans le
charme des contes et le poids des traditions. D’où la caution d’un érudit,
Pierre Dubois, inventeur de l’elficologie, l’étude des féeries. Au détour d’un
stand, lors d’un salon littéraire, l’auteur des Contes de crime et des Comptines
assassines se passionne pour les illustrations d’Elian et de Carine. Il
leur parle du château de Combourg et d’autres lieux hantés à visiter. Ses
carnets sont noircis d’histoires de fantômes et de noms romanesques dénichés
sur de véritables pierres tombales. Une alchimie se crée. Et un
projet de publication prend forme, avec une échéance de taille : la fin du
monde.
Convaincu que les fées ont le
même arbre généalogique que les fantômes, Pierre Dubois ouvre alors sa malle
aux trésors. Des récits surnaturels célèbres ou méconnus, des citations,
des extraits de classiques de la littérature gothique et des réflexions plus
personnelles sur l’imaginaire de la mort et du merveilleux. « Pierre Dubois écrit comme il conte »
me dit Elian Black’Mor. Jaunis par le temps, ses mots à la saveur d’antan
résonnent, en effet, comme un écho à sa voix de baryton. « Les fantômes ont l’apparence de l’âme qui
les meut » écrit-il. Une feuille de route pour des dessinateurs ?
Forts de ce "brief", Elian et Carine refusent de coller aux textes, ni de représenter
des scènes stricto sensu. Ils se focalisent sur le caractère des personnages,
l’esprit des esprits. Ainsi, deux formes d’illustrations soutiennent la
narration : tantôt des tableaux en couleur qui réinterprètent les
histoires, tantôt des croquis noir et blanc d'un chasseur de
fantômes aux airs de Peter Cushing. Même si Pierre Dubois récuse le
terme de "chasseur". A moins de voir les fantômes comme des
papillons ?
Le résultat est éblouissant. Loin
des ouvrages de commande et autres bestiaires fantastiques qui relèvent
davantage des manuels de fantasy pour amateurs de jeux de rôle, nous sommes ici
devant une « encyclopédie rêvée »
selon les termes de Carine-M, un ouvrage inclassable d’excellente facture qui
revisite les codes du ghost book et
entre ainsi, en très bonne place, dans notre bibliothèque amoureuse. Un très beau conte de Noël, entre Dickens et Lovecraft.
Olivier Valentin
Olivier Valentin
Pour aller plus loin :
> Elian Black'Mor et Carine-M enfantôment le Mouv'
> La galerie Arludik
Remerciements : La médiathèque de Carnac
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Remerciements : La médiathèque de Carnac
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