Edouard Brasey serait-il un forcené de la plume fantastique ? Encyclopédies, romans, guides, petits livres, essais, chroniques et recueils de contes : ses ouvrages constituent une véritable industrie de l'étrange et de la féérie. Sans compter les spectacles et les conférences. Une telle multiplication des formats littéraires sur les mêmes thèmes est-elle le fruit d'une écriture passionnelle ou la tentation d'une production de commande ? D'autant plus que, chez Edouard Brasey, certains sujets, en particulier les histoires de fantômes et de maisons hantées, flirtent avec la caricature ou le déjà-vu. En outre, l'écrivain prolifique bénéficie à chaque publication d'une campagne de marketing rondement menée. C'est pourquoi, au lieu de nous réjouir, la sortie d'un nouveau livre d'Edouard Brasey suscite plutôt notre méfiance. Et pourtant, le doute n'est jamais une fin en soi. Pour preuve : son dernier roman est, pour moi, une vraie réussite, dans la lignée des grands classiques de George Sand.
Dans Les Lavandières de Brocéliande*, un petit village de Bretagne est le théâtre d'un meurtre. Un matin de Toussaint de l'année 1943, alors que la France est occupée par l'armée allemande, une jeune fille est retrouvée noyée dans le lavoir, en lisière de la forêt de Brocéliande. La mère de la victime, surnommée Dahud, accuse les lavandières de la nuit, des créatures surnaturelles qui, selon les légendes bretonnes, lavent éternellement les linges ensanglantés de leurs enfants mort-nés. Mais, au village de Concoret, les gendarmes privilégient une autre piste : celle du drame passionnel. L'assassin est-il de chair et d'os ? Est-ce Philippe de Montfort, un jeune noble à qui la rumeur prête une liaison avec la défunte ? Ou bien Loïc, le charbonnier bossu et souffre-douleur du village ? Ou alors le souvenir d'une vieille malédiction qui se réveille à l'aube du jour des morts ?
La première force du roman, c'est la forêt elle-même : Brocéliande, au coeur de la Bretagne mythologique, qui sert de décor au récit d'un drame populaire. Avec virtuosité et malice, Edouard Brasey révèle les secrets d'une région ancestrale qu'il connait bien, ouverte à la randonnée et à la rêverie. Ancré dans la réalité des lieux et le substrat des légendes arthuriennes, le roman est un passeport pour la visite, une carte parcheminée, même si certains noms ont été modifiés.
Autre facteur-clef de succès : l'arrière-plan historique. L'occupation nazie renforce la tension dramatique de ce fait divers local. En cette période tourmentée, où la France se divise entre collaborateurs et résistants, les trahisons font encore plus de tort à la psychologie des personnages que la mort elle-même. Edouard Brasey dresse ainsi un tableau rural très sombre où toute preuve d'humanité, au-delà des apparences, est une source d'enchantement.
Enfin, le pont entre tragédie du passé et croyances du présent est un ingénieux ressort narratif qui nous interpelle sur les fonctions du mystère. A notre époque où la science frise l'arrogance et l'homo sapiens se prétend tout-puissant, quel poids reste-t-il à notre imaginaire ? Faut-il croire aux légendes et aux traditions ? Peut-on y puiser de quoi éclairer nos vies ? Dans son roman aux envolées philosophiques, Edouard Brasey nous interroge sur le sens de la mort et le défi au temps.
Comme l'alchimiste, à force de travailler dans son laboratoire littéraire à la transmutation du plomb en or, Edouard Brasey serait-il parvenu à réaliser son Grand Oeuvre ? Un pavé philosophal jeté dans la mare... au diable ?
Olivier Valentin
*Editions Calmann-Lévy
Illustration : Yan' Dargent, Les Lavandières de la nuit, huile sur toile, 1861
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