mardi 5 octobre 2010

L'imagination au pouvoir


Familier du Festival du film américain de Deauville qui s’est tenu du 3 au 12 septembre, Erick Fearson n’a pas beaucoup vu le soleil le mois dernier, tel un Nosferatu. D’abord niché dans les salles obscures pour voir la plupart des films sélectionnés. Puis plongé dans la rédaction nocturne d’une série de chroniques dédiées aux long-métrages en compétition. Le fantastique n’étant pas le thème principal du festival, il y a eu peu d’œuvres du genre. Toutefois, notre reporter du mystère a réussi à dénicher quelques bonnes trouvailles qui flirtent avec les codes de l’étrange comme le dernier opus de Terry Gilliam ou le génialissime Buried de Rodrigo Cortès, un clin d’œil à Edgar Allan Poe. Analyse d’un festival peu ambitieux. Mais tapis rouge à deux perles cinématographies qui nous prouvent, une fois encore, qu’il y a de la vie dans la mort !

De notre envoyé spécial, Erick Fearson

Me voici donc de retour pour la 36ème édition du Festival Américain de Deauville. A moi les salles obscures, que je puisse me gaver, jusqu’à satiété, de kilomètres de pellicule outre-Atlantique. C’est toujours plus agréable et préférable que de passer ses journées à la plage sous un soleil de plomb. Ce fut donc, pendant plus d’une semaine, un marathon cinématographique éprouvant, avec à la clé un palmarès mitigé. Heureusement, mes deux fidèles amies, nicotine et caféine, m’ont aidée à tenir sur  toute la longueur.
Cependant, autant être franc dès le début : l’édition 2010 ne fut pas, malheureusement, un grand cru. Peu de grandes stars présentes et une sélection plutôt décevante. Une atmosphère en demi-teinte et un jury frileux qui a préféré récompenser le consensus mou plutôt que la créativité et l’originalité. Néanmoins, quelques films ont retenu mon attention, dont l’incroyable Buried qui aurait dû être récompensé haut la main par le Grand Prix. On regrettera tout de même une programmation avare en films dans la catégorie fantastique. J’ai réussi tout de même à débusquer quelques œuvres qui flirtent avec le fantastique, dont une où il est question de fantômes. Ajoutons que pour la 36ème édition, Deauville rend un hommage à un invité de marque en la personne de Terry Gilliam. Seront donc projetées, pour la circonstance, la plupart des œuvres du réalisateur : Sacré Graal, Les aventures du Baron de Munchausen, The Fisher King, L’armée des 12 singes, Les frères Grimm, Tideland, Brazil… C’est d’ailleurs la Director’s Cut de Brazil qui sera présenté en ouverture du festival. Je ne reviendrai pas sur toutes ces œuvres que tout le monde doit connaître, excepté sa dernière réalisation L’Imaginarium du Docteur Parnassus. Sorti sur les écrans il y a un an à peine, le Festival me donne l’occasion de parler plus en profondeur de ce petit bijou incontournable.
Que peut-on retenir des films sélectionnés cette année ? Une chose est cependant certaine : l’Amérique va mal ! C’est une Amérique vacillante, ébranlée par la crise économique et sociale et en manque de repères, que l’on découvre à travers le 7ème Art. Quand tout va mal, l’être humain se tourne généralement vers la famille. Dès lors, la famille, et en particulier la maternité et le deuil, fut le thème récurrent des œuvres présentées lors de cette édition. Rien de bien excitant donc. Les thématiques de la maternité et de l’adoption, aussi déprimantes soient-elles, sont venues plomber le festival. Heureusement pour moi, quelques touches d’humour noir et de cynisme ont suffi à mettre un peu de bonne humeur dans tout ça ! Extraits.

De l’autre côté du miroir

Avec sa troupe de théâtre ambulant, "l'Imaginarium", le Docteur Parnassus offre au public l'opportunité unique d'entrer dans leur univers d'imagination et de merveilles en passant à travers un miroir magique. Mais le Dr Parnassus cache un terrible secret. Mille ans plus tôt, ne résistant pas à son penchant pour le jeu, il parie avec le diable, Mr Nick, et gagne l'immortalité. Plus tard, rencontrant enfin l'amour, le Docteur Parnassus traite de nouveau avec le diable et échange son immortalité contre la jeunesse. A une condition : le jour où sa fille aura seize ans, elle deviendra la propriété de Mr Nick. Maintenant, il est l'heure de payer le prix... Pour sauver sa fille, il se lance dans une course contre le temps, entraînant avec lui une ribambelle de personnages extraordinaires, avec la ferme intention de réparer ses erreurs du passé une bonne fois pour toutes...
Du pur et du très grand Terry Gilliam. Le génie visionnaire et poétique du Maestro a encore frappé ! Comment ne pas être séduit d’emblée par ce conte philosophique baroque ? En nous poussant sur la piste de son cirque excentrique fait de carton-pâte, le réalisateur de « Brazil »nous invite à un voyage initiatique et fantasmagorique inoubliable, porté par une distribution talentueuse. A commencer par l’immense Christophe Plummer interprétant le fameux Dr Parnassus, ainsi que Tom Waits, jouissif à souhait dans le rôle d’un Diable farceur et dandy. On ne peut naturellement pas oublier l’excellent Heath Ledger, dont ce fut malheureusement le dernier film avant sa mort tragique.
Le film de Terry Gilliam nous interroge sur la place de l’artiste dans la société. Que deviendrait une société sans création, sans imaginaire et donc sans artiste ? Certainement une société morne, grise, aseptisée et condamnée à mourir. Mais n’est-ce pas déjà le cas de notre triste monde où la consommation à outrance a remplacé le pouvoir de l’imagination ? A travers nos désirs, nos attentes, nos rêves, l’artiste nous permet d’accéder à des mondes parallèles en éveillant notre conscience endormie. Là est en quelque sorte l’humble pouvoir du Docteur Parnassus.
Nous pousser à réfléchir plutôt que de nous servir des réponses pré-mâchées grâce un univers très personnel. Voilà la force de Terry Gilliam qui fait défaut aux grosses machines hollywoodiennes. Car au-delà de son aspect visuel unique et onirique, les œuvres du réalisateur sont toujours chargées de sens et de symboles. Rien n’est gratuit chez Gilliam. L’Imaginarium du Docteur Parnassus n’échappe évidemment pas à la règle. La symbolique du tarot par exemple et surtout le fameux miroir qui nous sépare de notre froide réalité à l’autre monde, notre propre monde intérieur, participent naturellement à cela. Pour être prêt à passer de l’autre côté du miroir, encore faut-il au préalable affronter nos faiblesses, être responsable pour faire les bons choix qui s’offrent à nous… …au risque sinon de se brûler les ailes. C’est d’ailleurs le rôle du Diable, le tentateur, qui cherche à nous faire succomber en nous invitant dans son royaume des sens et du plaisir. Il ne nous force jamais la main, il nous y invite. La nuance est grande car il nous laisse le libre-arbitre. Saura-t-on y résister ou serons-nous victimes de nos démons intérieurs ? C’est le risque à prendre en passant de l’autre côté du fameux miroir du Dr Parnassus.
L’Imaginarium du Docteur Parnassus nous pousse ainsi à retrouver l’enfant intérieur. Cet enfant innocent et inventif que nous étions il y a fort longtemps. Un enfant plein de ressources et d’imagination qui pouvait créer des mondes extraordinaires avec de simples bouts de ficelle. Terry Gilliam propose un voyage intérieur au cœur de nos désirs les plus profonds et peut-être les plus inavoués, jusqu’au plus profond de notre esprit… Malgré le prix à payer, saurons-nous résister à l’invitation ?

Six pieds sous terre

« Ouvrez-les yeux. Vous êtes dans un espace clos, sous une tonne de terre irakienne avec 90 minutes d’oxygène et pour seule connexion vers l’extérieur un téléphone portable à moitié rechargé. Tel est le destin de Paul, un Américain pris en otage et enfermé dans une boîte. Le temps file et chaque seconde qui passe le rapproche d’une mort certaine… »
Attention chef d’œuvre… et déjà culte ! Une plongée en apnée dans nos peurs les plus ancestrales. Si vous êtes claustrophobe ou atteint de taphophobie (peur d’être enterré vivant), n’allez surtout pas voir ce thriller hitchcockien diaboliquement efficace, sous peine de suffocation ! Avec le cauchemardesque Buried, Rodrigo Cortès réussit le magistral tour de force de nous tenir en haleine (si on peut dire) pendant 94 minutes avec, pour seul champ d’action, l’intérieur d’un cercueil ! L’enterré vivant, interprété par un Ryan Reynolds extraordinaire, devra s’en sortir avec les moyens du bord. Un téléphone portable dont la batterie est à moitié chargée, un briquet, un crayon, un couteau, une flasque d’alcool et une lampe torche sont les seuls armes dont dispose notre héros pour retrouver l’air libre. Ajoutons à cela, un fauteur de trouble reptilien qui s’invite à la fête, et vous obtenez les ingrédients diaboliques d’un huis-clos étouffant ! Les nombreux rebondissements de ce cauchemar vivant, dont le suspense ne faiblit jamais, vous mettra les nerfs à vif. Le scénario asphyxiant, ciselé dans les moindres détails, ne vous laissera aucun répit. Et le coup de grâce vous donnera la chair de poule, six pieds sous terre, sans espoir de retour ! Du pur génie qui n’est pas sans rappeler L’enterrement prématuré  d’Edgar Allan Poe !
Buried est LE film du Festival de Deauville. Il a obtenu pour l’occasion le prix de la Critique Internationale, mais aurait dû, à mon humble avis, obtenir le Grand Prix. Pour moi, c’est le grand vainqueur du 36ème Festival du Cinéma Américain de Deauville. Dans les salles le 3 novembre.


Photographie : Julien Boisard

1 commentaire:

Amaury a dit…

J'ai toujours eu un faible pour les oeuvres de Terry Gilliam (Brazil, L'armée des 12 singes, Les frères Grimm), bien que je trouve sa manière de présenter les choses assez confuses, c'est un réalisateur qui n'est pas des plus accessibles mais que j'adore. Après les Monthy Pythons, on sent que l'homme a encore un pied en enfance (Bandits Bandits, Les Frères Grimm ou Tideland), enfin le côté sombre de l'enfance avec sa folie et ses cauchemars, si je n'ai pas encore visionné Tideland (que j'ai très envie de voir) avec la géniale Jodelle Ferlande (Silent Hill), il me tarde également de découvrir le nouveau Terry Gilliam. Je ne connais pas Buried mais rien que pour le clin d'oeil à Poe, je pense que ça vaut le coup de s'y interesser. Merci pour les infos comme toujours.