vendredi 6 mai 2011

Le Sherlock Holmes chinois chasse le fantôme

Pour sa 13e édition, le Festival du Film Asiatique de Deauville avait comme un goût d'amertume. Pendant le temps des films, d'une grande richesse esthétique et intellectuelle, souvent inégale, le Japon était frappé par un enchaînement de catastrophes naturelles et humaines sans précédent. Profondément affecté par ce drame, mais toutefois fidèle à la tradition, Erick Fearson nous raconte son festival, avec en point d'orgue, le film-événement qui cartonne actuellement au box-office : Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme.

De notre envoyé spécial, Erick Fearson

Comme à chaque édition, je me réjouis par avance de savourer cette plongée dans le cinéma asiatique. Un cinéma créatif et original qui réserve toujours son lot de surprises… bonnes ou mauvaises ! Malheureusement, cette année, cette saveur venue du lointain Orient a un arrière-goût amer. En effet, comme vous le savez sans doute, un événement catastrophique est venu assombrir le tableau. Il s’agit naturellement du drame sans précédent qui s’est joué et continue de se jouer au Japon. Etant personnellement et familialement touché par ce drame, je n’ai pu assister à la projection de tous les films prévus. Il m’a fallu gérer à la fois ma présence au festival et être disponible pour les proches touchés par ce drame. Mes diverses critiques seront donc plus courtes qu’à l’habitude, du fait de ma mobilisation concernant la tragédie nippone, et j’ose le dire, mondiale. Durant ce festival, j’ai eu l’occasion de croiser et de rencontrer des Japonais venus spécialement pour le festival. Je tiens ici à leur exprimer mon plus profond respect et ma plus grande admiration pour le sens de leur accueil, leur sourire et leur dignité, malgré la tragédie. Pour certains, leurs familles furent les victimes innocentes du terrible séisme et de l’effroyable tsunami qui a frappé le pays du Soleil Levant. Malgré tout, ils ont su réserver à tous leur meilleur accueil sans se plaindre une seule seconde ni même montrer un quelconque signe d’abattement. Je vous exprime une fois encore, mon plus profond respect.

Une fois de plus, l’organisation du Festival fut parfaite. Nous avons, mes collègues journalistes et moi-même, pu fêter le retour du bar du festival (absent l’an dernier) permettant ainsi à chacun de s’injecter sa dose de caféine quotidienne pour tenir le coup lors de ce marathon cinématographique. Les aficionados du Thé ne furent pas en reste, puisque le festival a eu la bonne idée de faire venir de Kyoto, une délégation Japonaise. Cette délégation composée entre autres de quelques Maîtres du Thé réputés, ont offert durant deux journées différentes dégustations de thés (Tencha, Matcha, Kabusecha, Sencha, Kawayanagi…) ainsi que diverses démonstrations de leur savoir-faire. Un avant-goût en quelque sorte, de ce qui nous attendait dans les salles obscures… Moteur… Action ! Morceaux choisis, le meilleur comme le pire.

Night Fishing – réalisateur : Park Chanwook – (Hors compétition)

Résumé : Au fin fond de la forêt, à travers un épais brouillard, un homme marche, un panier de pêcheur à la main. Il arrive au bord d'une rivière. L'homme prépare tranquillement son matériel de pêche et lance ses hameçons. Quelques heures plus tard, la nuit tombe peu à peu sur les berges tranquilles. L'homme n'a pas attrapé grand-chose mais reste assis à attendre. C'est alors qu'une de ses cannes à pêche plie sous le poids d'une prise qui semble très lourde…

Avis : Etonnant ! Ce film fantastique qui fut entièrement réalisé avec l’iPhone 4 est étonnant ! Un rendu d’image extraordinaire qui donne une atmosphère onirique et fantastique. Et c’est bien de fantastique dont il s’agit ici. "Fantôme", shaman et plus précisément d’un homme qui va franchir l’Autre côté, l’autre rive lors d’une partie de pêche pas comme les autres. Je ne dévoilerai rien de plus ici pour ne pas tuer le climax de l’œuvre.

Eternity – réalisateur : Sivaroj Kongsakul – (En compétition)

Résumé : Dans un petit village à la campagne, un fantôme revient hanter les lieux de sa jeunesse. Il s'appelle Wit et il est mort trois jours auparavant. Il se souvient des jours où il était tombé amoureux de Koi, sa future épouse.

Avis : Je salivais à me régaler enfin d’un film mettant en scène un fantôme. Quelle ne fut pas mon énorme déception ! Pas l’ombre d’un fantôme comme on l’entend généralement, dans ce long-métrage. Le fantôme est ici un prétexte bien mince pour mettre en scène quelques scènes ordinaires et niaises de la vie d’un couple à la campagne. Une absence de propos (ou si peu), une lenteur assommante, des plans fixes incroyablement longs… Une œuvre soporifique qui porte bien son nom et qui fait passer le "Stilnox", somnifère bien connu, pour un puissant excitant ! En effet, les séquences durent une éternité sans ajouter quoi que ce soit au « propos ». Il reste peut-être une certaine atmosphère. Mais cela ne suffit pas pour faire un film. Loin de là ! Si le vide intersidéral avait un nom, ce serait Eternity. Le public ne s’y étant pas trompé a inexorablement vidé la salle, lentement mais sûrement. Et pour être franc, je n’ai jamais vu, parmi toutes les éditions du Festival auxquelles j’ai assisté, une salle aussi clairsemée à l’issue de la projection. Il a d’ailleurs fallu réveiller les rares courageux qui se sont laissé endormir et assommer par ce film "hypnotique".
Le verdict, à la limite du "surnaturel", tombe : à la surprise générale, le Jury pitoyable dans son choix a couronné Eternity du Grand Prix ! Un jury atteint de cécité dont on pourrait douter de la compétence ? On pourrait le croire… En tout cas, du grand n’importe quoi !

Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme – réalisateur : Tsui Hark – (Hors compétition)

Résumé : En l'an 690, à Luoyang, la toute-puissante chine des Tang s'apprête à célébrer en grande pompe le couronnement de l'impératrice Wu Zetian. mais celle-ci ne montera officiellement sur le trône qu'une fois achevée la construction d'un gigantesque bouddha en plein cœur de la cité impériale. L'effervescence est à son comble sur le chantier lorsqu'une série de phénomènes étranges met soudain en péril la cérémonie. L'impératrice Wu fait alors appel au seul homme qu'elle estime capable de résoudre l'énigme : Dee Renjie, alias Detective Dee…

Avis : C’est LE film événement du Festival de l’édition 2011. Très gros budget, costumes somptueux, décors magnifiques, scène d’action titanesque… On n’en attendait pas moins du dernier Tsui Hark qui met en scène une véritable figure historique qui a pour nom Detective Dee (plus connu en littérature sous le nom de Juge Ti et interprété à l’écran par Andy Lau).
Si vous aimez l’œuvre d’Arthur Conan Doyle, vous devriez apprécier ce Sherlock Holmes chinois, dont l’action se déroule durant le premier siècle de la période Tang (618-907). Il faut savoir que la Chine n’a rien à envier à l’Occident dans la longue tradition de la littérature policière. Cependant, il est important de noter quelques différences notoires dans la structure des romans policiers entre l’Orient et l’Occident. Dans les romans policiers Chinois, on peut distinguer plusieurs choses :
- Dans ces derniers, le criminel est présenté dès le début de l’oeuvre dans les moindres détails, contrairement aux romans policiers occidentaux qui se construisent sur le modèle de la découverte du meurtrier et de son mobile. Dans le roman policier chinois, le plaisir de la lecture réside essentiellement dans une sorte de cheminement intellectuel similaire à l’observation des coups de joueurs d’échecs jusqu’au Mat.
- Les récits Chinois regorgent d’éléments surnaturels. Il n’est pas rare que les juges se rendent dans le monde invisible pour demander conseils et croisent sur leur chemin une foule de fantômes et de créatures extraordinaires ! D’ailleurs, les témoignages de ces créatures surnaturelles sont versés au dossier judiciaire de manière irréfutable.
- Les lecteurs Chinois sont friands de descriptions très minutieuses et détaillé des châtiments subis par les criminels, y compris après leur passage dans l’Au-Delà, alors que le public occidental préfèrera imaginer les châtiments. Par contre, il sera demandeur de détails précis et réalistes sur le déroulement du crime.
- Contrairement aux romans occidentaux qui établissent le profil psychologique du criminel, les romans policiers chinois suggèrent la nature psychologique profonde du criminel par des séquences onirico-fantastiques.
- Les romans policiers, comme toute fiction chinoise, s’adonnent à un développement extrêmement détaillé des aspects les plus infimes de l’affaire. Tout y est décrit de façon très minutieuse. Par ailleurs, le récit est entrecoupé de digressions poétiques et philosophiques. De fait, une intrigue assez basique peut s’étendre sur des centaines de chapitres, en plusieurs volumes. C’est pourquoi il n’est pas rare de constater que les romans chinois peuvent mettrent en scène quelques centaines de personnages. Cela s’explique par le fait que les chinois possèdent une mémoire phénoménale des noms et des liens interpersonnels. A l’inverse, les romans occidentaux possèdent un nombre de personnages et de suspects limités.
Néanmoins, pour plaire au plus grand nombre, le scénario de Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme fut rédigé dans l’optique de séduire autant le public oriental qu’occidental : nombre limité de personnages, peu d’éléments surnaturels, et enfin un suspense qui est entretenu du début à la fin. Et sur cet aspect des choses, Tsui Hark réussit très bien les choses. Detective Dee résonne donc de façon logique pour résoudre son enquête, tout en intégrant quelques éléments surnaturels mais sans tomber dans l’outrance. Je pense notamment à la scène du "Marché fantôme", monde souterrain oublié et englouti depuis des lustres, peuplé de créatures étranges qui pratiquent le commerce illicite et explorent les confins de la science alchimique.
En conclusion, un très bon film qui vous fera voyager et vous fera passer un agréable moment dans la Chine du premier millénaire.

Erick Fearson

Téléchargez l'intégralité du carnet de bord d'Erick Fearson sur les films vus au Festival 2011 du Film Asiatique de Deauville.

1 commentaire:

informatique lausanne a dit…

J'adore ce film!! Il me fascine!!