jeudi 17 décembre 2009

Laissez les morts en paix !

Malgré les spéculations des exégètes, le dénouement du Dracula de Bram Stoker, publié en 1897, laisse peu de doute sur le retour du vampire des Carpates. D’après le protocole de destruction, suivi à la lettre par les croisés du Professeur Van Helsing, le comte Dracula a été réduit en poussière. Et même si son château se dresse encore à la cime de son pic transylvanien, le mythe s’est éteint. Dans son épilogue, Jonathan Harker fait mention de son fils Quincey. Van Helsing dit de lui : « Ce gaillard saura un jour quelle mère courageuse il a ! Déjà, il connait sa tendresse et son amour. Plus tard, il comprendra que plusieurs hommes l’ont aimée au point d’oser, pour son salut, ce qu’ils n’auraient jamais osé autrement ».
Cent ans plus tard, deux écrivains, dont l’un des descendants de Stoker, ont imaginé l’avenir prédit par Van Helsing, en offrant une suite au roman original : Dracula l’Immortel*. L’intrigue se déroule en 1912, soit plus de 20 ans après l’histoire imaginée par Bram Stoker, et a pour personnage central Quincey Harker, fils de Jonathan et de Mina Harker. Mais les choses ne se déroulent pas vraiment comme prévu. Loin de là. Et c’est sans doute ce qui déçoit dans ce projet de suite officielle. La nouvelle histoire se place à contre-courant des orientations espérées par les fans, au point d’en faire une aberration. A la lecture des premiers chapitres, je jubilais de retrouver nos héros. A l’évocation de leur passé, de nombreuses images me sont revenues en tête : l’arrivée mystérieuse de Jonathan au château du comte, le débarquement du Demeter à Whitby, la lente destruction de la belle Lucy, l’histoire d’amour entre Mina et Dracula, la folie de Renfield et, bien sûr, la traque du monstre par les "fous de Dieu" jusqu’aux portes de son antre. Mais, à l’instar de bien des suites, notamment au cinéma, le retour fait préférer l’adieu. En effet, il est préjudiciable de faire un bon tour de magie deux fois de suite, au risque d’en livrer les secrets ou de compromettre l’âme du magicien. Je ne peux rien dire du livre sans en révéler les mystères. Et bien soit. Vous me pardonnerez. La déception est tellement grande que je prends le risque de donner les clefs d’un roman qui n’aurait pas dû réveiller un mort.
Les auteurs n’ont pas choisi la date de leur intrigue au hasard. 1912 est l’année de la mort de Bram Stoker et celle du naufrage du Titanic, deux éléments qu’on retrouve dans le roman. En outre, ce souci d’inscrire la fiction dans la réalité et de multiplier les évocations historiques va conduire les auteurs à tirer trop de ficelles à la fois, engendrant un joyeux fourre-tout qui ne craint pas les interprétations. J’ai l’impression de retrouver le casse-tête des scénarios de la saga Retour vers le futur où il fallait réfléchir à plusieurs pour éviter les incohérences temporelles. Alors si vous avez l’intention de vous plonger dans ce roman, coûte que coûte, ne lisez surtout pas ce qui va suivre. Je dis tout !
1/ Bram Stoker est un personnage du roman qui écrit son Dracula sur un témoignage indiscret. Il y a donc le roman Dracula de Bram Stoker, arrière-grand-oncle, dans le roman Dracula l’Immortel de Dacre Stoker, arrière-petit-fils. Stoker va même rencontrer Dracula en personne sous les traits d’un acteur, Basarab, qui veut interpréter le Dracula de la pièce de théâtre au Lyceum Theatre de Londres dont Stoker a été l’administrateur, pour de vrai. Vous me suivez ?
2/ La liaison entre le Dracula historique (Vlad l’Empaleur) et l’antihéros de Stoker est à nouveau exploitée, mais de manière plus précise puisqu’un autre personnage historique, parente éloignée du seigneur roumain, fait son apparition en créature démoniaque : Erzsébet Bathory, la comtesse sanglante qui, d’après la légende, se baignait dans le sang de ses victimes pour garder sa jeunesse. Pauvres mortels que nous sommes, nous assistons alors à un règlement de compte en famille auquel se livrent deux vampires, dans un final aussi sanguinolent que peu crédible. Une lutte entre vampires, ça ne vous rappelle rien ?
3/ L’énigme de Jack L’Eventreur, qui a marqué les annales du crime en Angleterre en 1888, trouve ici son énième dénouement. Qui se cache derrière le boucher de Whitechapel ? Dracula ou Bathory ? Il fallait y penser…
4/ L’évolution des personnages me paraît contradictoire avec la trajectoire que leur avait donnée leur créateur. Le Professeur Van Helsing devient l’ennemi public qui troque son âme contre des intentions démoniaques. Mina cède définitivement à ses penchants adultères. Lord Holmwood et le Docteur Seward font cavaliers seuls, trahissant ainsi l’amitié qui les liait avec les Harker, lesquels ne cessent de se déchirer, au grand dam de leur fils unique. Bref, on aura compris qu’on ne ressort pas indemne d’une chasse aux vampires…
5/ Les auteurs multiplient les morts atroces, poussant les descriptions aux limites du gore, personne n’y échappant. Pas même l’inspecteur Cotford, que Bram Stoker avait écarté de son roman, ne souhaitant pas ajouter de dimension policière à son chef d’œuvre d’épouvante. Les auteurs lui donnent un rôle dans leur nouvelle intrigue, le liant notamment au policier de Scotland Yard qui enquêta sur les meurtres de l’Eventreur, Frederick Abberline. Mais son existence est aussi courte que sa fin funeste.
6/ On ne connaît Dracula que par la plume de ses ennemis, dans le roman épistolaire de Bram Stoker : un damné, le mal incarné. Alors que, pour les auteurs de Dracula l’Immortel, il n’était finalement pas un si mauvais bougre et a été jugé trop sévèrement. Il aurait même voulu sauver Lucy en faisant d’elle un vampire. Car ce sont les transfusions de sang de Van Helsing qui la condamnaient à une mort certaine. Problème de groupe sanguin. Faisant fi de sa destruction, Dracula est donc revenu pour prouver sa rédemption. Et puis, il y a désormais pire que lui...
7/ L’action du roman échappe à l’époque victorienne et s’inscrit dans un monde en pleine mutation industrielle et scientifique. Il était donc logique pour les auteurs de moderniser le mythe et les caractéristiques du vampire jusqu’à envisager une origine génétique à ses pouvoirs. Par la modification de son ADN, il use de facultés inexplorées de son cerveau et parvient à se régénérer. Le vampire est donc un mutant qui peut même continuer à se battre, le cœur arraché. Un peu trop new age pour moi…
8/ Si Dracula de Bram Stoker avait pris la forme géniale d’un rassemblement de lettres, extraits de journaux et coupures de presse, ce qui donnait un point de vue narratif à chaque chapitre, attribué à chacun des personnages, le roman de Dacre Stoker et de Ian Holt a succombé à la mode du "page turner" où tout s’enchaine avec frénésie, par des paragraphes courts, dans une simultanéité des actions. C’est donc plus à un scénario (d’ailleurs Ian Holt est scénariste et avait conçu son projet comme tel) qu’à un roman dont nous avons à faire. A quand le film ?
9/ Après avoir découvert que son père n’est pas Jonathan mais Dracula lui-même ("je suis ton père" : j’ai déjà entendu ça quelque part…), Quincey se condamne sans le savoir puisque, dans les dernières pages du roman, il embarque à bord du Titanic. Mais après tout, peut-être a-t-il fait partie des survivants ? Un autre roman nous donnera sans doute la réponse…
Les pages les plus intéressantes du livre se trouvent à la fin. Comme les bonus d’un DVD, on y trouve la postface d’Elizabeth Miller, une sommité sur l’univers des vampires, ainsi que des témoignages des auteurs qui offrent un voyage dans les coulisses de l’élaboration du roman. Un éclairage passionnant.
Pour une magistrale histoire de vampires, relisez Dracula… de Bram Stoker !
Et laissez les morts reposer en paix.

Olivier V.

*Dracula l'Immortel, de Dacre Stoker et Ian Holt
Editions Michel Lafon
Octobre 2009

3 commentaires:

Amaury a dit…

Décidément après Twilight 2 et Paranormal Activity, les déceptions s'enchainent. On m'avait donner des avis assez moyens sur le roman et cet article achèvera de me convaincre que ce roman de Dracre Stoker n'est pas une si bonne acquisition que ça. Merci pour vos éclaircissements, Dracula de là ou il est vous remerciera lui aussi.

lilas a dit…

Le phénomène Twilight a engendré le retour de la mode du vampire. Donc ce livre a seulement un but commercial comme la plupart des livres qui sortent à ce sujet en ce moment. C'est dommage j'ai été très déçue par ce livre et comme vous le dîtes rien ne vaut Dracula de Bram stocker

salomé a dit…

Alors là merci ! Très bonne analyse ! Ce qui m'a je croîs le plus fait mal dans cette suite, c'est à quel point les personnages "Stokeriens" originaux étaient mal traités dans ce roman. Ce que j'aimais le plus dans le roman de Stoker, c'était le sens de l'amitié, celui de l'honneur et la noblesse de tous ses personnages... Cette suite est franchement immonde (pauvre Jonathan, pauvre Seward...).
Ce que j'ai surtout retenu dans les justifications de Dacre à la fin du roman, c'était qu'il s'agissait surtout de récupérer l'argent dont la famille Stoker se sentait lésée, non pas le respect du texte du grand Bram (qui était, tout comme ses personnages, un homme plein de noblesse et de courage)... bref, ce Dracula l'mmortel semble être aussi le reflet de la bassesse de certains de ses descendants.