mercredi 28 octobre 2009

Sang d'encre

Traditionnellement, au week-end de la Toussaint, nous fêtons les morts le 2 novembre. Cette année, Maison-Hantee.com a décidé de fêter les non-morts. Actuellement très populaires avec la saga Twilight et la sortie en librairie de la suite du Dracula de Bram Stoker, imaginée par son arrière-petit-neveu, les vampires font le plein de sang neuf. C’est l’occasion pour nous de mordre à pleines dents quelques références sur ces créatures mythologiques qui déchaînent toujours autant les passions.

Il y a quelques jours, les acteurs de Twilight foulaient le tapis rouge du Festival du film de Rome. Une consécration pour ces vampires de lignée royale. Inspirés des quatre best-sellers de Stephenie Meyers, les films Twilight (« crépuscule » en français) racontent l’histoire d’amour entre une adolescente et un vampire centenaire, que sa condition préserve des affres du temps et de la vieillesse. C’est le mythe de l’éternelle jeunesse auquel l’humanité aspire dans son refus de la mort. Or, les titres des romans en disent long sur les étapes du vampirisme : fascination, tentation, hésitation et révélation. Car, depuis la nuit des temps, le vampire effraie autant qu’il séduit.

A la vie, à la mort

Professeur émérite à la retraite, spécialiste de la mythologie des vampires, Jean Marigny explique : « La permanence de la fascination que l'on éprouve pour le vampire s'explique que ce personnage incarne à lui seul tous les problèmes liés à la vie, à la mort, à la survie, aux rapports de domination entre les êtres, à l'amour, au plaisir, etc. Par comparaison aux autres personnages traditionnels de la littérature que sont le diable, les fantômes, les loup-garous et autres monstres, il est d'une très grande richesse thématique et il résume toutes les virtualités et toutes les contradictions que nous éprouvons au fond de nous-mêmes. »
Plus particulièrement en temps de crise, le vampire est une catharsis de l’inconscient collectif qui, par sa morsure fatale, nous affranchit de tous nos maux. Dans sa thèse Le Vampire dans la littérature anglo-saxonne, publiée en 1985 chez Didier-Érudition, Jean Marigny fait remarquer que la littérature vampirique est particulièrement riche en période de troubles. « Je pense en particulier à l'époque de l'entre-deux-guerres marquée par le krach de Wall Street, la crise économique, le chômage généralisé, la montée des totalitarismes ; je pense aussi aux années de Guerre Froide marquée par l'anticommunisme et la peur de l'holocauste nucléaire, et puis plus récemment à la crise identitaire que connaît la société occidentale depuis les bouleversements des années 70. La littérature vampirique a tour à tour reflété le courant xénophobe de l'avant-guerre (peur des Allemands et des Russes), l'anticommunisme de la Guerre froide, puis plus récemment, le rejet de la société de consommation et des valeurs traditionnelles, la peur du SIDA, de la drogue, de la violence urbaine, de la pollution industrielle, etc. A chaque époque, le vampire a eu un visage différent. La jeunesse contemporaine se retrouve dans un personnage comme Lestat, musicien de rock, anticonformiste, qui triomphe des maux dont souffre l'humanité. »
Après Lestat, le vampire imaginé par l’écrivain Anne Rice (Entretien avec un vampire), c’est Edward, le héros de Twilight.
Aujourd’hui, avec les turbulences économiques, sociales et morales que traverse notre monde, la jeunesse préfère se réfugier dans les mythes ésotériques plutôt que d’affronter les réalités, les injustices et les fléaux du 21e siècle. Or, de la télévision au cinéma, en passant par la littérature, le vampire est plus (mort-) vivant que jamais ! Morceaux choisis.

Dracula et autres chefs-d’œuvre

Nous en parlions sur ce blog il y a quelques jours. Omnibus publie une intégrale des œuvres de Bram Stoker, autour de son noyau dur de la littérature gothique, Dracula, que le public découvre en 1897. Un choc épistolaire qui reste encore la référence absolue pour les amateurs du genre, même si Théophile Gautier ou Charles Nodier, précurseurs de Stoker, ont ouvert la voie.

Dracula l’Immortel

Quelques centaines d’années plus tard, un descendant de Stoker, son arrière-petit-neveu Dacre, assisté d’un historien, Ian Holt, membre de la Société transylvanienne de Dracula, ont exhumé des notes personnelles (descriptifs de nouveaux personnages, intrigues secondaires, compléments d’informations sur l’œuvre originale) et des pages inédites, écrites de la main même de Bram. Tous deux soutenus par la famille de l’écrivain irlandais, ils ont repris l’histoire vingt-cinq ans après le dénouement épique au château du comte dans Dracula l’Immortel, paru chez Michel Lafon (chronique à venir).

Pascal Croci

Puissant évocateur visuel, Dracula est aussi une mine d’or pour les cinéastes et les dessinateurs. A ce titre, un illustrateur a particulièrement tiré son épingle du jeu et gagné notre admiration, c’est Pascal Croci. Scénariste, dessinateur et coloriste, Pascal Croci a fait ses premières armes sur des bandes dessinées religieuses pour la presse catholique. Affranchi de ce travail de commande, il passe du mystique au gothique, mettant en scène des drames romantiques où la femme magnifiée est trahie par les siens. Avec sa complice à l’écriture, Françoise-Sylvie Pauly, on lui doit deux albums sur Dracula chez EP Editions, un carnet de voyage illustré A la recherche de Dracula, carnet de voyage de Jonathan Harker au Pré aux Clercs et, plus récemment, une bande dessinée sur la légende d’Elisabeth Bathory, un vampire au féminin, toujours chez EP Editions. Or, le talent de Pascal Croci ne s’arrête pas à ses croquis incisifs, à ses traits torturés et ses visages émaciés, qui me rappellent certaines œuvres sombres du peintre symboliste et coloriste du XIXe siècle, Odilon Redon. La colorisation contrastée de ses vignettes est sublime, atmosphérique. Sur des fonds froids, des personnages pourpres, véritables statues vivantes, vous glacent le sang. Comme la gorgone chez Homère, un seul de leur regard morbide vous pétrifie d’horreur. Pour notre plus grand plaisir.

Blood Energy Potion

Enfin, pour finir sur une note humoristique (Halloween oblige…), je voulais vous signaler la sortie en janvier 2010 d’une boisson qui ressemble volontairement à du sang : « Blood Energy Potion » (potion énergisante à base de sang). Conditionné comme une poche de perfusion, aux valeurs nutritionnelles identiques à celles du sang, cet « élixir » se réchauffe 14 secondes au four à micro-ondes pour boire à température du corps… Cerise sur le gâteau, l’étiquetage indique le groupe sanguin auquel le breuvage est sensé correspondre. Je vous rassure, il n’y a aucune trace de sang dans cette boisson à base de fer, de protéines et d’électrolytes. C’est juste un concept marketing glauquissime qui prouve que le filon du vampirisme a un avenir commercial, même le plus tordu.

Olivier

Dracula et autres chefs-d'oeuvre
Bram Stoker
Edition établie par Alain Pozzuoli et Jean-Pierre Krémer
Omnibus, oct. 2009
(Disponible sur commande)

Dracula l'Immortel
Dacre Stoker et Ian Holt
Michel Lafon, oct. 2009

Intégrale Dracula
Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly
Collection Atmosphères
Emmanuel Proust Editions, oct. 2009

A la recherche de Dracula, Carnet de voyage de Jonathan Harker
Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly
Le Pré aux Clercs, mars 2008

Elisabeth Bathory
Pascal Croci et Françoise-Sylvie Pauly
Collection Atmosphères
Emmanuel Proust Editions, sept. 2009


© Illustration : Le P'tit Lu (pour Maison-Hantee.com)

3 commentaires:

salomé a dit…

Youpi ! Vivement la suite...
à noter que Françoise Sylvie Pauly, la femme de Pascal Crocy, a écrit un superbe roman (l'invitée de Dracula) qui, hélas, est trop peu connu. Ce roman est d'une grande qualité et d'une fidélité remarquable quant au Dracula de Stoker...

Amaury a dit…

Très utile ce petit assortiment d'ouvrages sur le genre, le livre illustré de Pascal Croci et Françoise Sylvie Pauly m'avait fortement attiré, en plus je le trouve particulièrement adapté au jeune public, je vais peut être me le procurer. La saga Twilight ne m'attire pas plus que ça, n'ayant vu que le premier long métrage, il m'est impossible de juger l'ensemble mais disons que mes premières impressions fûrent mitigées. Merci pour cette "morsure" de rappel sur le sujet.

Merlin a dit…

Tout cela promet un hiver riche en lectures savoureuses et en frissons!

Même si je n'en suis pas certain, je pense deviner dans l'illustration un détail des ruines de l'abbaye de Mortemer...