lundi 31 décembre 2012

L'épouvantable encyclopédie des fantômes

Dans le petit monde merveilleux du fantastique, les rencontres ne doivent rien au hasard. Ce sont les passions qui nous rassemblent. Jules Renard disait « Je me moque de savoir beaucoup de choses. Je veux savoir des choses que j’aime ». Ainsi, à mi-chemin entre les sceptiques et les illuminés, des amateurs de mystères, animés par un goût raisonné de l’étrange, savent trouver leur place et s’entendent, comme les pièces d’un puzzle. Or, avec les fantômes, on a coutume de dire que les grands esprits se rencontrent. C’est donc sans coïncidence que je suis tombé nez-à-nez sur Elian Black’Mor et Carine-M, illustrateurs du 1er tome d’une Épouvantable Encyclopédie des Fantômes chez Glénat, un samedi de décembre. Dans une galerie de l’Ile-Saint-Louis, ils étaient en dédicace, au milieu de leurs dessins : des spectres, des fées et autres créatures ensorcelantes qui hantent manoirs et cimetières.

Riche de la plume du conteur Pierre Dubois, le beau livre que je tiens entre les mains est l’anthologie de ghost stories que l’on n’attendait plus depuis L’heure des fantômes de Jean-Pierre Croquet. Entre Montague Rhodes James et Tim Burton. Dans une petite salle bondée, les illustrateurs ne signent pas leurs albums. Ils dessinent, prenant le temps de l’échange avec leur public. Les présentations sont faites. Nous nous donnons rendez-vous sur leurs terres bretonnes, au lendemain de Noël. L’ouvrage mérite des approfondissements. Le récit d’une genèse. Car on n’invoque pas sans raison les fantômes d’un coup de crayon.

Quelques jours plus tard, au milieu des dragons de la médiathèque de Carnac et des monstres à l’heure du thé, nous chuchotons nos secrets. Exercice fastidieux que celui de la promotion. La seule question que je me suis interdit de leur poser : "est-ce que vous croyez aux fantômes ?". Car tout ce qui m’intéresse, c’est de savoir s’ils en ont peur. Elian Black’Mor, l’homme des Maudits, une série de chroniques macabres au pays des chimères, se penche vers moi, l’œil malicieux : « Les créatures fantastiques sont toujours les personnages qui font peur et que l’on doit chasser. Au contraire, je pense qu’elles ont besoin d’être défendues. Car les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on croit. ». Le parfait contrepied qui bouscule les règles. Princesses et chevaliers, vous voilà avertis ! C’est le dragon qui gagne. Cependant, l’exorcisme de nos terreurs ne doit pas passer par la ridiculisation du bestiaire fantastique. Carine-M nous rappelle qu’il est bon que les fantômes fassent peur : « C’est ainsi qu’ils inspirent le respect. Après la frayeur légitime de la confrontation, le fantôme se manifeste pour donner un signe et accompagner les vivants vers l’au-delà. ».

Dans leur Épouvantable Encyclopédie, ces deux enfants de la pub, passés du marketing opérationnel au design éditorial, explorent ce territoire inconnu où cohabitent vivants et disparus. Et, d’après eux, la manière la plus poétique de faire accepter la mort est de puiser dans le charme des contes et le poids des traditions. D’où la caution d’un érudit, Pierre Dubois, inventeur de l’elficologie, l’étude des féeries. Au détour d’un stand, lors d’un salon littéraire, l’auteur des Contes de crime et des Comptines assassines se passionne pour les illustrations d’Elian et de Carine. Il leur parle du château de Combourg et d’autres lieux hantés à visiter. Ses carnets sont noircis d’histoires de fantômes et de noms romanesques dénichés sur de véritables pierres tombales. Une alchimie se crée. Et un projet de publication prend forme, avec une échéance de taille : la fin du monde.

Convaincu que les fées ont le même arbre généalogique que les fantômes, Pierre Dubois ouvre alors sa malle aux trésors. Des récits surnaturels célèbres ou méconnus, des citations, des extraits de classiques de la littérature gothique et des réflexions plus personnelles sur l’imaginaire de la mort et du merveilleux. « Pierre Dubois écrit comme il conte » me dit Elian Black’Mor. Jaunis par le temps, ses mots à la saveur d’antan résonnent, en effet, comme un écho à sa voix de baryton. « Les fantômes ont l’apparence de l’âme qui les meut » écrit-il. Une feuille de route pour des dessinateurs ? Forts de ce "brief", Elian et Carine refusent de coller aux textes, ni de représenter des scènes stricto sensu. Ils se focalisent sur le caractère des personnages, l’esprit des esprits. Ainsi, deux formes d’illustrations soutiennent la narration : tantôt des tableaux en couleur qui réinterprètent les histoires, tantôt des croquis noir et blanc d'un chasseur de fantômes aux airs de Peter Cushing. Même si Pierre Dubois récuse le terme de "chasseur". A moins de voir les fantômes comme des papillons ?

Le résultat est éblouissant. Loin des ouvrages de commande et autres bestiaires fantastiques qui relèvent davantage des manuels de fantasy pour amateurs de jeux de rôle, nous sommes ici devant une « encyclopédie rêvée » selon les termes de Carine-M, un ouvrage inclassable d’excellente facture qui revisite les codes du ghost book et entre ainsi, en très bonne place, dans notre bibliothèque amoureuse. Un très beau conte de Noël, entre Dickens et Lovecraft.

Olivier Valentin



















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